Municipales hors normes, crise sanitaire : ce qu’en pensent les maires

Philippe Pottiée-Sperry
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Urgence

Un moral en berne pour les nouveaux maires ? Pas totalement même si les élus du cru 2020 auront rarement été dans une situation aussi difficile.

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Mobilisés par la campagne municipale, avec deux tours espacés de plus de trois mois, crise du Covid-19 oblige, mais aussi par l’état d’urgence sanitaire, les maires expriment certaines réserves sur leur rôle et parfois leur impuissance pour mener à bien leurs missions. Tel est le constat général dressé par la 4ème enquête qui a été réalisée par l’AMF et le Cevipof (Centre de recherches politiques de Sciences Po) auprès de pas moins de 4714 maires (1). Ceux-ci, élus ou réélus cette année, ont été interrogés en octobre.

Un taux d'abstention record

Les élections municipales resteront un scrutin très particulier avec notamment un taux de participation historiquement faible (44,7%). « Un record sous la Vème République », reconnaît Martial Foucault, le directeur du Cevipof. Même si l’explication principale réside dans la crise sanitaire, « il interroge sur les prémices d’un désintérêt des citoyens vis-à-vis de la démocratie locale, même si l’acte de vote ne peut résumer à lui seul la bonne santé d’une démocratie représentative ». Les maires élus expriment un avis plus contrasté. Selon l’enquête, la très faible participation inquiète une majorité d’entre eux (55%). 46% la jugent comme un phénomène profond de désintérêt politique mais seulement 9% s’inquiètent de la légitimité de leur propre élection. Pour les 45% « non inquiets », ils considèrent que le lien de confiance entre représentants municipaux et administrés est suffisamment fort pour ne pas y voir un malaise démocratique au plan municipal.

Le profil des maires change peu

Près de 40% de nouveaux maires ont été installés en juin dernier. Parmi ceux-ci, un tiers ont gagné face à des maires sortants candidats à leur propre succession et les deux tiers ont été élus en l’absence du maire sortant. Le profil sociologique des près de 35 000 maires élus en 2020 change peu par rapport à la précédente mandature. Parmi les évolutions, on peut noter que près de 7000 femmes sont maires, une part en progression mais qui ne représente que 19,5% de l’ensemble (+3,5 points par rapport à 2014). Autre évolution : l’augmentation de la part des cadres et professions libérales (21% contre 15% en 2014). Si la part des retraités reste élevé (environ 40%), celle des agriculteurs ne cesse de diminuer (11,6% contre 13,4% en 2014 et 18% en 2001).

Autre enseignement : l’engagement municipal des nouveaux élus est ancien et dépasse largement la fonction de maire. Ainsi, une forte majorité des nouveaux maires exerçaient déjà une fonction de conseiller municipal (68%) ou d’adjoint (42%) au cours du mandat 2014-2020. La trajectoire des maires, contrairement aux autres élus, s’inscrit en général dans un long processus d’apprentissage de la fonction et du rôle.

Covid-19 : 39% des maires estiment avoir été bien associés

Concernant la gestion de la crise sanitaire, le jugement des maires sur leur relation à l’exécutif confirme un malaise que les efforts récents du gouvernement n’ont pas réussi à dissiper. En leur demandant d’évaluer l’action du gouvernement vis-à-vis des collectivités territoriales, les maires attribuent une note moyenne très sévère (8 sur 20). Tous les services de l’État ne sont pas jugés de la même manière. Alors que 66% qualifient d’efficaces leurs relations de travail avec les préfectures, le chiffre tombe à 40% pour les agences régionales de santé (ARS) qui ont souvent été pointées du doigt durant la crise sanitaire et jugées trop verticales. Comme le soulignaient les sénateurs Jean- Marie Bockel et Eric Kerrouche, auteurs en juillet dernier d’un rapport sur les premiers enseignements de la crise, « les élus locaux ont regretté les défaillances organisationnelles de l’État au plus haut niveau. Les maires n’ont pu disposer d’informations claires et cohérentes que tardivement, parfois par les médias, alors qu’ils étaient en première ligne pour répondre aux interrogations de leurs concitoyens ».

Dans le détail, 39% des maires estiment avoir été bien associés (dont seulement 2,5% très bien associés) à la mise en œuvre de l’état d’urgence sanitaire, 48% mal associés et 12% n’étaient pas en responsabilité au printemps. L’enquête remarque une différence notable pour les maires de communes de taille intermédiaire (1000 à 9000 habitants) qui sont seulement 26% à s’être sentis bien associés par les services de l’État contre 43% pour les très petites communes ou 46% pour les grandes villes.

Covid-19 : manque de directives claires de l’État

Parmi les sources d’insatisfaction, c’est le manque de directives claires et cohérentes de la part de l’État qui est pointé par 51% des élus interrogés et arrive loin en tête (le manque de matériels de protection en deuxième place avec 30%). Le rapport d’étape de la mission d’évaluation de la crise, présidée par le professeur Didier Pittet, rendu public le 13 octobre, insiste sur les défauts de coordination entre services de l’État et ARS. Derrière différentes questions (poids de la technostructure, sous-estimation de la capacité d’action des collectivités, mise en place de mesures uniforme ou pas sur l’ensemble du territoire), en germe depuis le mouvement des Gilets jaunes, « se pose l’enjeu du modèle d’organisation administrative et politique du territoire français », estime l’enquête du Cevipof.

Montée des incivilités et des violences

Depuis la mort du maire de Signes (Var) le 5 août 2019 dans l’exercice de ses fonctions, le public a découvert un phénomène non négligeable jusqu’alors peu médiatisé. L’enquête a ainsi interrogé les maires sur les faits de violence dont ils ont pu être victimes. Parmi les faits dont ils se déclarent avoir déjà été victimes arrivent en tête les incivilités (53%), les injures ou insultes (29%), les menaces verbales ou écrites (28%) et des attaques sur les réseaux sociaux ou internet (20%). « Si les agressions physiques (5%) ou atteintes aux biens personnels (6%) sont relativement rares, elles correspondent en réalité à des centaines de situations vécues », précise l’enquête.

Elle constate aussi des écarts significatifs selon l’ancienneté et l’expérience politique des maires. Ainsi, 70% des sortants réélus déclarent avoir subi une forme d’incivilité, contre 46% des nouveaux maires expérimentés (c’est-à-dire adjoint ou conseiller municipal par le passé) et 32% pour les nouveaux maires. « Ces chiffres soulignent la prégnance et la saillance du phénomène et la forte exposition de la fonction aux faits de violence, analyse le Cevipof. Cette même violence qui peut parfois s’immiscer dans la sphère privée puisque 11% des maires déclarent que leur famille ou leurs proches ont également été victimes des mêmes agissements ».

Inquiétudes économiques sur l’avenir

Concernant la situation financière des communes, les maires considèrent que la gestion actuelle ou passée de leur commune est très saine (constat partagé par 83% des répondants). Cette tendance se poursuit depuis 2018, date de la première enquête AMF-Cevipof. Aujourd’hui, les élus s’interrogent sur la part du plan de relance qui reviendra aux collectivités en 2021. Même si l’évolution de la DGF ne connaît pas de grandes variations, c’est davantage le fort degré d’incertitude du contexte économique qui inquiète les maires. Dans la perspective d’une croissance économique négative ou atone, c’est une partie des impôts affectés aux collectivités, et en particulier la CVAE ou les DMTO qui risquent de fortement diminuer, en plus de la suppression de la taxe d’habitation.

Philippe Pottiée-Sperry

(1) Enquête administrée en ligne entre le 14 octobre et le 10 novembre 2020. Envoyée auprès de 33 279 maires, le taux de réponses s’établit à 13 % (soit 4 714 réponses complètes de maires) et 18 % si l’on tient compte des réponses incomplètes (soit 6 603 maires).

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