La sécurisation de l’exercice du droit de préemption urbain

Philippe Pottiée-Sperry
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Par Tadjdine Bakari-Baroini, avocat au cabinet Seban & Associés

L’exercice du droit de préemption urbain est un outil efficace et prisé par les acteurs de l’aménagement urbain souhaitant mettre en œuvre des politiques urbaines. Il doit, pour autant, être ancré dans des intentions réelles et préétablies, des finalités issues de la loi et un objet explicite, qui doivent ressortir de la décision de préemption pour sécuriser ce mode d’acquisition foncière.

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Qui est compétent pour exercer le droit de préemption urbain (DPU) ?

Le DPU a été transféré aux établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre compétents en matière de plan local d’urbanisme, aux établissements publics territoriaux et à la métropole de Lyon pour les doter d’un outil d’aménagement supplémentaire. Ces autorités sont compétentes de plein droit pour exercer le droit de préemption urbain.

Elles peuvent déléguer leur droit à l'État, à une collectivité, à un établissement public y ayant vocation ou au concessionnaire d'une opération d'aménagement. Cette délégation peut porter sur une ou plusieurs parties des zones concernées ou être accordée à l'occasion de l'aliénation d'un bien (article L.213-3 du Code de l’urbanisme).

Pour quelles finalités le droit de préemption urbain peut-il être exercé ?

Le droit de préemption urbain ne peut être utilisé que pour des finalités limitativement définies par la loi (articles L.210-1, L.300-1 et L.211-1 du code de l’urbanisme) : la mise en œuvre d’un projet urbain ; la mise en œuvre d’une politique locale de l'habitat ; l’organisation, le maintien, l'extension ou l'accueil des activités économiques ; la favorisation, le développement des loisirs et du tourisme ; la réalisation des équipements collectifs ou des locaux de recherche ou d'enseignement supérieur ; la lutte contre l'insalubrité et l'habitat indigne ou dangereux ; la mise en œuvre du renouvellement urbain ; la sauvegarde ou la mise en valeur du patrimoine bâti ou non bâti ; la relocalisation d'activités industrielles, commerciales, artisanales ou de services en raison de la réalisation de travaux nécessaires à l'une des opérations d'aménagement définies au livre III du code de l’urbanisme ; le relogement d'occupants définitivement évincés d'un bien à usage d'habitation ou mixte en raison de la réalisation de travaux nécessaires à l'une des opérations d'aménagement précitée.

Doit-on anticiper l’exercice du droit de préemption et, si oui, comment ?

Le droit de préemption urbain doit être précédé de l’intention de réaliser un projet (CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, n° 288371). Si ledit projet n’a pas à être certain et précisément défini, le titulaire du droit de préemption doit démontrer, par les pièces de son dossier, que son acquisition s’inscrit dans le cadre d’intentions réelles, qui peuvent être démontrées de deux façons :

-« soit par des éléments démontrant son antériorité (lettres, notes de service, discours, [études de faisabilité, comptes-rendus de réunion, documents de travail, délibérations] …),

-soit par des précédents démontrant qu’il s’insère dans une politique dont il est l’une des manifestations et qui rendent sa réalisation quasi certaine » (Conclusions DEREPAS, sous l’arrêt : CE, 7 mars 2008, Commune de Meung-sur-Loire, n° 288371 – BJDU 2008, n° 1, p. 57).

Comment bien motiver une décision de préemption ?

Pour éviter une insuffisance de motivation, une décision de préemption doit être très soignée. Cette dernière doit viser la délibération instituant le droit de préemption, les chaines de délégation de compétence autorisant le signataire de la décision à intervenir. Elle doit mentionner l’objet pour lequel ce droit est exercé, viser les finalités poursuivies par celles-ci (et ressortissant des articles L.300-1 du Code de l’urbanisme et/ou L.211-1 du même code), viser, le cas échéant, la politique dans laquelle elle s’inscrit et, si possible, matérialiser les intentions réelles de l’administration en y faisant ressortir les éventuelles études, travaux, réflexions qui l’ont précédées et les biens déjà acquis.

L’administration doit-elle interroger le service des Domaines ?

Le titulaire du droit de de préemption doit recueillir l’avis du service des Domaines lorsque le prix ou l’estimation indiqué dans la déclaration d’intention d’aliéner excède 180 000 €. Cet avis doit être formulé dans le délai d'un mois à compter de la date de réception de la demande d'avis. Passé ce délai, il peut être procédé librement à l'acquisition (article R.213-21 du code de l’urbanisme et article 2 de l’arrêté du 5 décembre 2016).

Le recueil de cet avis constitue une garantie pour le titulaire du droit de préemption et le vendeur et son irrespect entache la décision de préemption d’illégalité (CE, 23 décembre 2014, n° 364785, Communauté urbaine Brest métropole océane).

Dans quel délai le droit de préemption est-il exercé ?

Le titulaire du droit de préemption dispose, en principe, d’un délai de deux mois à compter de la réception de la déclaration d’intention d’aliéner (DIA) en mairie pour exercer son droit de préemption, ce qui suppose d’avoir obtenu, dans ce délai, une décision exécutoire, c’est-à-dire non seulement prise mais également notifiée au propriétaire intéressé et transmise au représentant de l’Etat pour le contrôle de légalité (article L.213-2 du Code de l’urbanisme). Le respect de ce délai constitue une condition de légalité de la décision de préemption (CAA Douai, 10 décembre 2019, n° 18DA00847).

Deux tempéraments au délai de deux mois existent, avec deux hypothèses de suspension de délai, d’une part, lorsque le titulaire du droit de préemption formule une demande de communication unique de documents (article R. 213-7, II du Code de l’urbanisme) et/ou, d’autre part, quand il rédige une demande de visite du bien (articles D213-13-1 à D213-13-4 du code de l’urbanisme). Ces demandes sont encadrées très strictement dans le temps pour préserver « la garantie pour le propriétaire [de] savoir dans les délais les plus brefs s'il peut disposer librement de son bien » (CE, 15 mai 2002, Ville de Paris c/ Association cultuelle des témoins de Jéhovah de Paris, n° 230015).

A quel moment le juge de l’expropriation intervient-il dans la procédure de préemption ?

L’administration peut préempter aux prix et conditions de la DIA et dans ce cas, le juge de l’expropriation n’a pas besoin d’être saisi car il y a accord sur la chose et le prix. Toutefois, quand l’administration décide de préempter à un prix inférieur à celui proposé dans la DIA, le propriétaire dispose d’un délai de deux mois pour faire savoir s’il maintient l’offre de sa DIA et souhaite voir trancher le prix par le juge de l’expropriation.

A compter de la réponse du propriétaire, sous peine d’être considéré comme ayant renoncé à l’exercice du droit de préemption, le titulaire du droit de préemption doit respecter scrupuleusement deux délais. Tout d’abord, il doit saisir le juge de l’expropriation dans un délai de 15 jours à compter de la réception de la réponse écrite du propriétaire par LRAR adressée au secrétariat de cette juridiction (article R.213-11 du code de l’urbanisme). En second lieu, lorsque le juge de l’expropriation a été saisi, le titulaire du droit de préemption est tenu de consigner à la Caisse des dépôts et consignations une somme égale à 15 % de l'évaluation du prix du bien faite par le service des Domaines. Cette consignation doit intervenir et avoir été notifiée au propriétaire et à la juridiction dans le délai de trois mois suivant la saisine du juge (article L. 213-4-1 du même code).

Jusqu’à quel moment le titulaire du droit de préemption peut-il renoncer à son droit et quelles sont les conséquences ?

Le titulaire du droit de préemption peut renoncer à la mutation, pendant un délai de deux mois après que la décision du juge de l’expropriation est devenue définitive. Sa renonciation doit être écrite car son silence équivaut à une acceptation du prix fixé par le juge (article L.213-7 du Code de l’urbanisme). Les conséquences d’une renonciation à préempter sont différentes suivant le moment. Avant la fixation judiciaire du prix, le propriétaire peut réaliser la vente initiale aux prix et conditions indiqués dans la DIA, dans un délai de trois ans. Après la fixation judiciaire du prix, le titulaire du droit de préemption ne peut plus exercer son droit à l’égard du même propriétaire pendant un délai de cinq ans à compter de la décision juridictionnelle définitive si, dans ce délai, le propriétaire réalise la vente de ce bien au prix fixé par le juge de l’expropriation.

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